11 juin 2006

L’évangile de Judas

Prédicateur:

De temps en temps les sables d’Égypte libèrent des trésors enfouis depuis des siècles. Ce fut le cas déjà en 1945, lorsque 13 codex coptes datant du début du IVe siècle, furent découverts à Nag Hammadi. Dans cette langue ancienne se trouvaient conservés des textes gnostiques dont les originaux remontent aux IIe et IIIe siècles. Certains d’entre eux sont des « évangiles », mais contrairement aux quatre Évangiles reconnus, ces écrits exaltent une connaissance secrète et déprécient fortement tout ce qui relève de la matière et du corps. Au point de dire, avec l’Evangile de Thomas : « Celui qui a connu le monde a trouvé un cadavre, et celui qui a trouvé un cadavre, le monde n’est pas digne de lui. ». Dan Brown, apparemment, ne savait pas cela.

D’autres évangiles apocryphes nous sont connus, aux tendances diverses : gnostiques, judaïsants, ascétiques. Typiquement, ces « évangiles » ne relatent pas la vie de Jésus ou son ministère public, mais des entretiens secrets, que seul un disciple initié a pu transmettre à son tour à d’autres initiés. Ils ne contiennent pas d’informations fiables sur le plan historique. Ils ont été rédigés à partir du 2e siècle en s’inspirant des personnages des évangiles connus. D’ailleurs, si leur enseignement est transmis par de prétendus évangiles, sous le nom des apôtres et de quelques compagnons, c’est sans doute parce que nos quatre Évangiles étaient incontournables. Pour les compléter, pour les corriger, il fallait profiter de leurs silences, notamment sur l’enfance de Jésus ou son enseignement après la résurrection.

C’est ainsi que vient d’être publié le texte d’un Évangile de Judas.

Le manuscrit a été trouvé dans les années 1970, dans des circonstances douteuses. Il a refait surface en 1983, a disparu de nouveau… pour enfin être acheté pour une somme astronomique et confié en 2001 à des chercheurs à Bâle. Sans doute la crainte de poursuites judiciaires, la lenteur des tractations, les techniques de transport et de conservation rudimentaires expliquent-ils que le manuscrit est assez abîmé. La traduction vient d’être livrée au public.

Le manuscrit lui-même est du 4e siècle, en langue copte. C’est la traduction d’un texte composé vers le milieu du 2e siècle et connu de l’évêque de Lyon, Irénée, qui le cite vers 180 dans son livre « Contre les Hérésies. ».

La presse ne s’est intéressée qu’à un aspect du texte : Judas aurait été le complice de Jésus pour le livrer aux autorités. Les journalistes semblent prendre au pied le la lettre la dernière ligne du texte :« Selon Judas », alors que tous les spécialistes disent que Judas ne l’a pas écrit ! Ce n’est pas un texte historique, c’est un enseignement ésotérique qui prend la forme – le déguisement – d’un Évangile. 100 ans au moins après les faits.

A la lecture, le texte n’a rien de révolutionnaire. Le plus intéressant à mon sens n’est pas le personnage de Judas – après tout, il fallait bien prendre appui sur un disciple qui soit dépositaire des secrets, comme d’autres auteurs ont pris Thomas, Philippe ou Marie-Madeleine.

Le plus intéressant, c’est la vision du monde que cet évangile véhicule. C’est n’est pas Dieu l’Auto-Généré qui a créé le monde, c’est un ange, Saklas, créé par Nebro, le rebelle, lui-même issu d’une longue série d’émanations divines. Cette hiérarchie de puissances dans la pensée gnostique était déjà connue des historiens. Elle était tout juste en train de se mettre en place du temps de l’épître de Paul aux Colossiens, au début des années 60.

C’est donc un ange mauvais qui a créé le monde. D’où la scène remarquable où Jésus se moque des disciples lorsqu’ils rendent grâces pour le pain. Jésus rit, parce que par cette prière leur dieu, le dieu qui est en eux, sera loué. Alors que c’est un dieu tout à fait secondaire et inférieur.

Nous sommes ici en phase avec d’autres textes gnostiques qui disent que le créateur n’est pas le dieu de la sagesse, de la connaissance, de la lumière, de l’Esprit. Ce n’est qu’un être sans intelligence, Yahvé, qui a eu la mauvaise idée non seulement de créer le monde mais de donner la loi et de s’attacher le peuple juif. On l’appelle le démiurge. Les Douze sont les disciples de ce dieu-là. Selon l’Evangile de Judas, ils égarent les gens, ils sont aussi condamnables que des assassins et des impudiques. Judas est présenté comme le treizième disciple (sic), ce qui veut dire qu’il est vraiment à part : les Douze n’ont rien compris.

Et Jésus, alors, ? Ce n’est pas un véritable homme, il n’est pas tributaire de ce monde matériel. Il est de loin supérieur à tout cela. Il dit à Judas : « Tu les surpasseras tous, car tu sacrifieras l’homme qui me sert d’habit. » L’humanité du Christ, ce n’est qu’un habit, une enveloppe. Cette pensée, déjà connue, porte le nom de docétisme : le Christ avait seulement l’apparence de l’humanité. Elle affleure vers la fin du 1er siècle, lorsque Jean combat ceux qui reconnaissent le Christ venu avec l’eau de son baptême, où il est déclaré Fils de Dieu, mais nient sa venue « en chair » et « avec le sang » de sa croix.

Les Évangiles apocryphes, c’est un univers fascinant. Mais complètement détaché de la réalité historique, radicalement opposé à l’enseignement de la Bible. Le témoignage de celle-ci, c’est que la Parole éternelle, la Sagesse divine est devenue un être humain en tous points comme nous. Il a donné sa vie pour nous sauver non de l’ignorance ou de la matière, mais du péché.