27 mars 2005

Pâques 2005 : le doute, le cœur et la raison

Prédicateur:
Passage: Jean 20:19-31

Introduction

Vous l'avez entendu, vous l'avez peut-être dit : « Je suis comme Thomas, je ne crois que ce que je vois. » Saint Thomas, c'est sans doute patron des gens qui doutent. Je vais vous lire une partie de son histoire.

Lecture : Jean 20.19-25

Contrairement à ce l'on pense, les gens d'hier n'étaient pas plus bêtes que les gens d'aujourd'hui. Sur le plan scientifique, ils ignoraient des choses que nous apprenons, maintenant à l'école primaire. Mais les uns ont construit les pyramides, les autres ont organisé de vastes empires. Comme nous, ils avaient leurs superstitions. Comme nous, ils avaient leurs criminels et leurs escrocs. Comme nous, ils devaient survivre dans un monde difficile, trier le vrai du faux, et se fixer une ligne de conduite. Comme nous, ils savaient que quand on est mort, on est bien mort.

Thomas a donc raison de ne pas croire. Il pouvait concevoir qu'un vent de folie avait frappé ses amis. Il ne pouvait pas admettre que Jésus soit revenu à la vie. Les gens peuvent se tromper, par dizaines, par dizaines de milliers. Un mort ne se relève pas. C'est le bon sens.

Chez Thomas, ce n'est pas seulement cela. C'est le bon sens plus le sentiment. Parce que Thomas est un homme qui s'estime trahi.

Cela fait trois ans qu'il a joué les SDF en suivant partout un prophète, Jésus. Il a été attiré par son enseignement, unique. Il a été convaincu par ses miracles. Il a continué à ses côtés quand l'opposition s'est intensifiée. Il a cru que Jésus était le libérateur que Dieu envoyait pour son peuple, le descendant du roi David, qui fonderait un nouvel empire de justice et de paix. Thomas a connu un moment noir, il a même envisagé de devoir mourir avec son chef. Mais le miracle de Lazare l'a requinqué. Thomas a réellement cru.

Mais maintenant le soutien populaire s'est transformé en haine, et Jésus lui-même est mort. Pas en héros, les armes à la main, mais le dos déchiqueté par le fouet, les membres troués par des clous, la respiration étouffée par le supplice de la croix. Une chose est claire : si Dieu est avec toi, tu ne meurs pas comme ça. Avec comme seul vêtement la poussière et le sang, avec comme seule musique le ricanement de ceux qui n'ont rien d'autre à faire. Jésus est mort de la mort des imposteurs. Thomas avait cru en lui, mais à tort.

Ce n'est pas seulement par esprit cartésien que Thomas refuse de croire ce que les autres racontent. C'est aussi parce qu'il est un homme dépité, trompé, trahi.

Il est comme les gens de notre temps qui disent qu'ils n'ont plus la foi. Leurs espérances ont été trompées. Peut-être que leur foi était mal informée, incomplète, peut-être que leur rêve était sans fondement. Mais pour eux, Dieu n'a pas respecté le contrat, il les a trompés. Ou alors il n'existe pas, puisqu'il n'a pas fait ce qu'eux voulaient.

Thomas est cohérent avec lui-même. Ses amis – ils restent ses amis – lui disent de laisser tomber sa déception. Une demi-douzaine de femmes, une douzaine d'hommes sérieux disent que Jésus est revenu à la vie et qu'il faut donc continuer à croire en lui, plus fort qu'avant, même. Thomas ne veut rien entendre. La raison et la colère le lui interdisent.

Thomas : le bon sens en action. Thomas, l'indépendant. Thomas, le révolté. Ce n'est pas la raison pure qui le fait douter. C'est la raison plus la déception.

Notre doute à nous peut être nourri par plusieurs facteurs. Intellectuels et psychologiques. Le rejet d'une figure d'autorité : notre père, notre mère, un professeur. Une déception, une prière non exaucée, un deuil. Un raisonnement, un article dans la presse. Un désir d'indépendance. Une révolte. La colère. Mais la colère est mauvaise conseillère.

J'ai trouvé un bel exemple du mélange de la raison et du sentiment chez un grand athée anglais. Il s'appelait Aldous Huxley, il a écrit entre autres « Le meilleur des mondes », un classique de la science-fiction, où il annonce par exemple les bébés-éprouvette. Un jour j'ai trouvé une citation[1] de lui disant que pour lui et ses amis les prises de position athées étaient motivées par un désir de liberté, de liberté sexuelle surtout. Ce n'était pas la raison pure qui faisait de lui un athée, c'était aussi son style de vie. Tout son être, tous ses sentiments étaient impliqués dans son rejet de Dieu.

Ce n'était pas le pur esprit scientifique qui faisait douter Thomas. Ce ne sera pas le pur sentiment qui le fera croire. Lisons la suite.

Lecture Jean 20.24-29

Jésus n'est jamais apparu à de gens qui cherchaient à voir quelque chose, qui étaient en quête d'une expérience mystique. Il n'y a pas eu de visionnaires attitrés. Il n'y a pas eu de lieu plus propice qu'un autre. Il n'y a pas eu d'apparitions standard.

Jésus, mort le vendredi, apparaît vivant 10 jours plus tard un dimanche soir, rien que pour Thomas. Dans son amertume, Thomas réclamait de voir quelque chose. Il a vu. Il réclamait de toucher quelque chose de ses mains. Mais ses mains avaient soudain autre chose à faire. J'imagine qu'elles lui couvraient le visage, qu'elles lui essuyaient les larmes, qu'elles lui tenaient la tête.

Et dans sa tête, tout bascule une deuxième fois. Le Jésus qu'il avait côtoyé pendant trois ans, en qui avait cru ; le Jésus qu'il savait mort comme une racaille et en qui il ne croyait plus ; cet ami qui l'avait trompé, trahi : il était vivant. Et non seulement vivant, mais vainqueur de la mort. Il était donc réellement le Messie, le Sauveur, le prophète qui devait venir, le roi des Juifs, la lumière des nations, le fils de David. Kurios, Adonaï, Seigneur, Dieu. Ses yeux, sa raison, ont la réponse qu'ils réclamaient. Son cœur aussi.

Vous remarquerez deux choses dans ce que Jésus lui dit à ce moment-là. D'abord, que Jésus accepte d'être appelé « mon Seigneur et mon Dieu. » Bon, les empereurs romains en sont venus à exiger qu'on les appelle ainsi. Mais nous sommes ici à Jérusalem, pas à Rome. Nous sommes chez un peuple qui s'est toujours battu contre l'idolâtrie et qui a résisté jusqu'au sang contre le culte des empereurs. Il est déjà hors de question qu'un homme pieux tel que Thomas appelle un être humain Dieu. Mais admettons qu'il déraille : il est absolument exclu qu'un vrai prophète accepte un tel abus de langage. Sauf si c'est vrai. Le témoignage des Évangiles, c'est que Jésus est autant homme que Dieu. Il accepte donc l'hommage de Thomas, il le félicite même. « Tu as cru, et tu as bien fait de croire. » « Mon Seigneur et mon Dieu. » C'est la plus stricte vérité.

Mais la deuxième chose à remarquer, c'est que la réponse de Jésus contient une nuance. Il indique que l'expérience de Thomas sera l'exception et non la règle. « Parce que tu m'as vu, tu crois ! Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »

Il s'en est déjà trouvé au moins un qui a cru à la résurrection de Jésus avant de l'avoir vu. C'est l'apôtre Jean. Il y a une semaine il a été dérangé tôt le matin par une femme affolée qui lui dit que la sépulture de Jésus a été violée. Le corps n'y est plus. Jean y est allé, au pas de course, il y a vu la tombe ouverte, et les linges mortuaires comme effondrées, vides. A cette vue, l'apôtre Jean a cru. Sans l'avoir vu. Ce qu'il savait déjà de Jésus et les indices de la tombe ouverte l'ont convaincu sans qu'il voie.

Ce que je sais de la vie de Jésus et les indices de la tombe ouverte m'ont convaincu sans que je voie. Ma raison, mon esprit scientifique, mon sens de l'histoire me disent : ça tient la route. Non comme une hypothèse qui demain sera démentie. Mais comme un fait incontournable. Et derrière la raison mon cœur dit : Il est mon Seigneur et mon Dieu.

Il faut qu'il y ait concordance entre la raison et le cœur. Aucune preuve matérielle ne viendra au bout d'un cœur qui a envie de résister. Et le cœur peut avoir très envie de résister. Pour tenir tête à une figure d'autorité. Pour rester libre et indépendant. Pour ne pas abandonner une déception, une révolte, une colère. Pour ne rien changer. Si le cœur résiste, la raison finira par le suivre.

« Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Qui croient ce qui est vrai, et qui suivent ce qui est vrai. Qui disent ensuite : « Mon Seigneur, et mon Dieu. »

Jean avait prévu de terminer son Évangile avec le témoignage de Thomas. Et c'est pour cela que nous avons ceci à la fin du chapitre 20 :

Lecture Jean 20.30-31

Fini de raconter, fini d'expliquer. Jean termine en interpellant ses lecteurs. J'aimerais faire autant.

Est-ce que vous avez capté suffisamment d'éléments au sujet de Jésus ? A travers un film, à travers les Évangiles, à travers ce culte, ou d'autres ? Il y a des choses qu'il faut savoir, réfléchir, raisonner. Si vous en êtes au stade de la réflexion, venez me voir après le culte, je vous donnerai un Évangile que vous puissiez emporter pour lire dans le train cette semaine.

Et si vous êtes déjà bien informés, dites-moi ceci : Est-ce la raison ou le cœur qui vous empêche de croire vraiment ? Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, n'est-ce pas ? Je pense que je peux vous aider au niveau de la raison. Je suis prêt à faire ce que je peux pour vous aider à démêler les raisons du cœur. Sachant que personne ne peut vous obliger à vous cacher le visage dans les mains et à dire : « Mon Seigneur et mon Dieu. »

Et si aujourd'hui le cœur et la raison avaient rendez-vous ? Si votre réflexion, votre recherche, vos convictions intimes avaient mûries et que vous étiez en train de vous dire : « Mais, en fait, je crois ! » Si du doute vous étiez passé à la foi ? A ce moment-là je vous dirais : « Bienvenu parmi les disciples de Jésus, bienvenu dans la famille de Dieu, bienvenu dans le club des Thomas ! » Votre foi va maintenant pouvoir s'exprimer, par une proclamation explicite, et par vos actes.

Croire que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu. Grâce à lui, avoir la vie. La vie avec Dieu maintenant. La vie avec Dieu pour l'éternité. Le Christ ressuscité en est le garant et le modèle.

Je me demande ce qui s'est passé pour Thomas après sa rencontre avec le Christ. Il a dû vivre des moments exaltants, la Bible en donne quelques échos. Il a dû vivre aussi les persécutions dont la Bible parle aussi. Une tradition ancienne dit qu'il est allé jusqu'en Inde annoncer l'Évangile et témoigner de ce qu'il a vu. C'est pas mal pour un homme qu'on voudrait enfermer dans le doute. Mais vous avez compris qu'il y a bien plus que ça chez lui. Par le cœur et par la raison il a cru ! Vous êtes prêts à en faire autant ?

[1] Dans Le monde de l'évasion de Michael Green