24 décembre 2006

La fuite en Égypte : réflexions pour les gens bien installés et les autres

Prédicateur:
Passage: Matthieu 2:13-23
Topics:

Introduction

Après la magnifique fête de Noël de la semaine dernière, je me demande ce qui reste à dire. Nous avons lu les prophéties, plus les récits de Matthieu et de Luc. Nous avons rappelé le sens de la naissance de Jésus, Dieu avec nous, celui qui sauve du péché. Tout a été dit, ou presque.

Les mages

Alors, j’ai pensé aux mages. Traditionnellement on les place derrière les bergers à la crèche. Mais historiquement, ce n’est pas cela. Ils sont venus plus tard, trois mois, six mois, un an plus tard. Marie et Joseph sont installés dans une maison. Hérode cherche à tuer les enfants de moins de deux ans, pas les nouveau-nés.

Ce qui me frappe avec les mages, c’est que c’est Matthieu qui en parle. Chacun des quatre Evangiles a été écrit pour un public donné, dans un but donné. Luc pour des Grecs cultivés. Matthieu pour les Juifs. Et c’est Matthieu qui met en valeur ces étrangers venus de loin. Il tient à nous rappeler dès le début que Christ n’est pas le Sauveur d’un seul peuple, mais de tous les peuples, dans la mesure où ils se tournent vers lui. C’était une leçon très importante pour ses compatriotes, qui méprisaient les autres peuples. C’est une leçon très importante pour nous.

La fuite en Egypte

Joseph, Marie et l’enfant doivent s’enfuir en Egypte. Et quand ils en reviennent, ils s’installent en Galilée, plutôt que sur la terre de leurs ancêtres. C’était des réfugiés, des migrants, des gens à la situation précaire. J’image que quand Joseph et Marie ont appris la nouvelle du massacre à Bethlehem, ils ont dû à la fois remercier Dieu pour leur délivrance et se sentir vaguement coupables. Certains d’entre nous, au Congo ou au Cambodge, ont des souvenirs difficiles à porter.

Pour Matthieu, il était important de rappeler le parcours de Jésus, pour dire à ses lecteurs israélites que le Messie a fait le même parcours que leurs ancêtres. Eux aussi sont partis habiter en Egypte, c’était pour fuir la famine. Ils sont revenus de l’Egypte s’installer en Canaan. Et le jeune Messie a fait pareil. C’était presque le parcours obligé, qu’il connaisse à son tour l’exil de son peuple.

Quand je pense à ce que le Seigneur des mondes a vécu, je pense à ce que certains d’entre nous ont vécu, ou nos proches. Je pense à ce que les personnalités politiques vont dire ces temps-ci au sujet des immigrés. Je me demande ce que la Bible nous en dit. Non pas pour orienter nos choix politiques, mais pour nous aider à avoir un comportement qui soit digne de Jésus-Christ. Qu’est-ce que Dieu nous demande ?

Qu’est-ce que Dieu demande aux gens bien installés ?

Je vais commencer par des textes bibliques et des réflexions qui concernent ceux d’entre nous qui sommes bien installés dans la vie. Et puis je vais faire pareil pour ceux d’entre nous qui sommes dans une situation plus précaire.

Qui nous dit le Seigneur, à nous qui sommes bien installés ?

La solidarité

En Actes 17.26, un grand principe : A partir d'un seul homme, Dieu a créé tous les peuples pour qu'ils habitent toute la surface de la terre ; il a fixé des périodes déterminées et établi les limites de leurs domaines.

Il y a une seule race humaine, mais il y a différents peuples. Une seule race humaine, cela veut dire que je suis concerné par ce qui se passe à l’autre bout de la planète. S’il y a différents peuples, cela doit signifier, entre autres, que je ne suis pas directement responsable de tout. Mais je suis probablement plus responsable que je ne crois. Si l’économie de mon pays fait des ravages ailleurs, je ne suis pas innocent. Si le prix que je paie pour mon café pousse un paysan du tiers-monde à la famine, je suis en partie responsable : comme le sont les responsables des supermarchés et leurs actionnaires et le ministre en charge du commerce extérieur. Je ne suis pas responsable de tout, je ne peux pas tout changer, mais je suis concerné par ce qui se passe dans le monde plus que je veux bien admettre. Je suis solidaire des hommes où qu’ils se trouvent.

La compréhension

Cela implique de pouvoir me mettre dans leur peau, de les comprendre. Si moi j’avais 20 ans et que je vivais dans un pays ravagé par la guerre, si j’étais condamné au chômage, si je vivais constamment au bord de la famine, j’aurais peut-être le devoir de me débrouiller pour aller dans un pays riche et chercher de l’argent pour les miens restés au pays. La survie, la vie tout simplement, c’est plus important que des histoires de papiers. En France, en 1940, on le savait bien. Si donc je suis du côté des gens bien installés, le moins que je puisse faire, c’est de m’abstenir de jugements hâtifs et d’essayer de comprendre.

La compassion et la colère

Mais me faut aller plus loin, il me faut de la compassion. Tu aimeras ton prochain comme toi-même, dit la Bible. Elle va même plus loin :

Si un étranger vient s'installer dans votre pays, ne l'exploitez pas. Traitez-le comme s'il était l'un des vôtres. Tu l'aimeras comme toi-même : car vous avez été vous-mêmes étrangers en Egypte. Je suis l'Eternel, votre Dieu (Lévitique 19.33-34).

La compassion ne règle pas tout, loin s’en faut. Je trouve qu’elle est compliquée à pratiquer. Il y a des dons faits par compassion qui n’aboutissent pas ou qui n’aident pas vraiment ou qui sont confisqués par des gens corrompus. J’aurais tendance à trouver toutes sortes de bonnes raisons pour fermer mon cœur. Mais je crois que je dois apprendre la compassion.

Parfois, la compassion va de paire avec la colère, la colère face aux injustices. Quand je vois ces gens qui se sont saigné les quatre veines pour une place dans une pirogue qui va peut-être atteindre les Iles Canaries, je suis révolté. Il y a là des trafiquants de vies humaines qui ont vendu du rêve, qui ont monté de soi-disant agences de voyage, qui ont du sang sur les mains. Des Chinois, des Sénégalais, des Turcs. Ils ont vendu à des pauvres des places dans le paradis européen sans garantir l’arrivée. Au jour du jugement, Dieu ne les oubliera pas.

L’accueil et l’hospitalité

Comprendre, avoir de la compassion, voire de la colère. Il me manque encore un mot. C’est le mot accueil. Que nous soyons installés en France depuis dix générations ou depuis dix ans, quand nous rencontrons une nouvelle personne, nous avons un devoir d’accueil. Ce devoir est particulièrement important quand il s’agit de ceux qui sont nos frères en la foi. Je sais que c’est compliqué quand des différences de langue et de style de vie sont importantes. Mais je ne peux pas me départir de l’idée que selon la Bible nous devons aimer nos frères, les accueillir, exercer l’hospitalité à leur égard. Je laisse à nos gouvernants les questions juridiques et économiques, les relations internationales et la surveillance des frontières. Mais moi, quand je suis en face de mon frère, je n’ai pas le droit de lui fermer mon cœur.

Accueillez-vous donc les uns les autres, tout comme le Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu (Romains 15.7)

Dans ce domaine, quand je pense à notre Eglise, je la compare à un élève qui a de très grandes capacités et qui ramène à la maison un douze ou un treize. C’est déjà pas mal ! Mais ce n’est sans doute pas son potentiel. Il peut mieux faire. Et je suis persuadé que nous, à Ozoir, nous pouvons mieux faire. La Bible parle d’exercer l’hospitalité. Et certaines familles le font. Je peux vous dire que c’est une joie d’avoir du monde à sa table, pour un grand repas ou pour un petit. Ne devrions-nous pas nous poser la question pour 2007 : une fois, deux fois par mois, inviter pour après le culte une ou deux personnes que nous ne connaissons pas très bien ? Un ou deux nouveaux ? En prenant bien soin de préciser l’heure et le menu. Nous n’avons pas les mêmes attentes et les mêmes habitudes : un faut dire comment nous entendons procéder. Les anglo-saxons qui arrivent en France, ils se font toujours piéger parce que l’entrée est tellement bonne et tellement copieuse qu’ils en reprennent copieusement. Ils n’imaginent pas que derrière la charcuterie il puise y avoir un plat de viande. Ey quant aux familles qui, pour les fêtes, ont poisson et viande, n’en parlons pas ! La politesse, c’est de dire comment le repas va se dérouler.

Pourvoyez aux besoins des saints. Exercez l'hospitalité (Rom 12.13). Exercez l'hospitalité les uns envers les autres, sans murmures (1.Pierre 4.9).

Que dit Dieu à nous qui sommes dans une situation plus précaire ?

Tout cela, je sais que c’est un vrai défi pour nous qui sommes bien installés. Comprendre et accueillir, c’est énorme. Mais il y aussi des défis importants pour ceux d’entre nous qui sommes dans une situation précaire. Que dit Dieu aux gens qui essaient de se débrouiller ?

Et là je soulève des problèmes auxquels je ne me donne pas le droit de répondre. Ce serait trop facile. J’aurais l’impression d’être comme ces pharisiens qui imposent aux gens de lourds fardeaux et qui ne lèvent pas le petit doigt pour les soulager.

Un texte de l’Ancien Testament dit que dans un procès il ne faut pas favoriser le riche parce qu’il est riche, il ne faut pas favoriser le pauvre parce qu’il est pauvre. Il faut chercher ce qui est juste et vrai.

Vous ne commettrez pas d'injustice dans les jugements. Tu n'avantageras pas le pauvre, et tu ne favoriseras pas le grand ; tu jugeras ton prochain selon la justice. (Lévitique 19.15).

Dieu est un Dieu de vérité, il veut que nous marchions dans la droiture. Et justement l’un des problèmes de ceux qui essaient de se débrouiller, c’est que souvent la vérité passe à la trappe. On vient avec un visa de touriste, mais c’est pour rester à vie. On se dit réfugié politique alors qu’on cherche du travail. On jongle avec des papiers, des adresses, des déclarations de complaisance. On est dans une sorte de no-man’s land que l’administration semble même favoriser. C’est bien connu, si vous voulez une carte de séjour, ne vous adressez pas à Melun, faites-vous déclarer comme domicilié en Val-de Marne.

Une Eglise ne demande pas, n’a pas le droit de demander de voir les papiers de ceux qui viennent au culte, qui veulent se faire baptiser, qui veulent se faire inscrire comme membres. Nous ne sommes pas la police. Mais pour les personnes concernées, il y a un problème de droiture, un problème de conscience. Tous les chrétiens ont dans leur Bible des passages qui parlent du respect que nous devons aux autorités et de l’obéissance aux lois. Mais que pèsent certaines lois contre le banditisme endémique, contre la famine, contre l’absence de soins médicaux, contre le désespoir ? Quand une personne en France peut faire vivre dix personnes au pays, pouvez-vous me dire ce que Dieu lui demande de faire ? Quel est son devoir ? Ceux qui ont vécu ces problèmes de conscience peuvent donner des conseils, pas moi .

Mettre sa vie en ordre

Il y a dans le Nouveau Testament un cas très intéressant, que nous pourrions appeler un cas de régularisation. La personne concernée s’appelle Onésime, c’est un esclave, acheté un jour par un chrétien riche du nom de Philémon, dans une petite ville de ce qui est aujourd’hui la Turquie. Onésime s’enfuit. Sans doute en emportant des souvenirs qu’il peut revendre sous le manteau. Il finit par atterrir à Rome, ville immense, où tous les clandestins du monde viennent se cacher. Et à Rome il fait la connaissance de l’apôtre Paul. Il se convertit même. Et il devient l’un des assistants de l’apôtre.

Dans l’Ancien Testament il y a une loi relative aux esclaves fugitifs. Contrairement aux lois de Babylone ou de Rome, ou de la France et des Etats-Unis à l’époque de l’esclavage, Dt 23.16 dit que les Israélites ne doivent pas renvoyer chez leurs maîtres les esclaves qui trouvent refuge chez eux.

Si un esclave s'enfuit de chez son maître et vient se réfugier dans votre pays, vous ne le ramènerez pas à son maître (Deutéronome 23.16).

C’était une loi unique dans l’histoire du monde. C’est peut-être pour cela que Paul fait des entorses aux lois de Rome en gardant Onésime avec lui.

Cela dure un temps, mais à la longue, ce n’est pas tenable. Un jour ou l’autre Onésime doit se mettre en règle avec la loi. Et c’est à l’occasion d’une lettre que Paul écrit à l’Eglise de Colosses qu’Onésime repart dans le sens inverse. Il porte une lettre dans laquelle Paul invite Philémon à recevoir Onésime comme un frère en Christ. Le retour n’est pas sans risque. C’est un pas de foi. Mais être en règle avec Dieu et avec les hommes, c’était à ce prix. C’est aussi à l’heure de Dieu, ni trop tôt, ni trop tard.

Comprendre et aimer

Un devoir de droiture. Un désir de mettre sa vie en ordre, qui peut être plus difficile pour les uns que pour les autres. Et puis, un devoir de compréhension et de compassion. Oui, c’est important dans les deux sens. Comprendre le pays qui nous accueille, apprendre à connaître sa culture, son histoire, ce qui compte pour ses habitants, c’est important. C’est un signe de respect sinon d’amour. Dire d’office que ma façon de faire est la meilleure – et nous pensons tous comme cela – c’est une forme d’orgueil. La France a des choses à apprendre au monde, les peuples du monde ont des choses à apprendre à la France. Vous êtes comme moi un immigré de la première génération ? Faites l’effort de comprendre.

Mais comprendre ne suffit pas. Il faut avoir de la compassion. Il faut aimer. Si vous venez d’un pays où les chrétiens sont nombreux et où la foi est vivante, ayez de la compassion pour nous autres Européens. Nous avons donné de notre sang pour que certains pays du monde connaissent l’Evangile. Et maintenant ces pays viennent à notre secours. Priez pour nous. Parlez-nous de Dieu et de Jésus-Christ qui est venu pour nous.

Regardez bien les décorations de nos villes et de nos maisons. Des traîneaux, des sapins, des flocons de neige, des Pères Noël qui escaladent nos toits et qui pendent à nos fenêtres. Et des étoiles et des anges dont plus personne ne pense qu’ils sont en rapport avec le Christ. Vous êtes peut-être venu chercher une vie meilleure, comme les enfants d’Israël en Egypte. Dites-vous bien que la richesse n’est peut-être pas du côté que l’on pense, et que vous avez quelque chose de magnifique à nous offrir : l’Evangile de Jésus-Christ. Serez-vous à la hauteur ?

Conclusion

Marie, Joseph, Jésus : des réfugiés, des migrants, des gens à l’existence précaire. Ils ont trouvé en Egypte et à Nazareth une terre d’accueil. Que leur expérience nous fasse réfléchir aux réalités de notre époque. Comprendre, et aimer, c’est ce que Dieu nous demande à tous.

Amen.